Julie Portier, Le quotidien de l’art n°781 
Digital Haptique 2015


Laura Gozlan a participé au Salon de Montrouge en 2012. Ces dernières années, on a pu être aspiré dans la faille temporelle et goûter au vertige sensoriel que ménagent ses sculptures et ses installations dans plusieurs centres d’art comme Micro-Onde (Vélizy-Villacoublay), La Panacée (Montpellier) ou la Maison Populaire (Montreuil). Son exposition personnelle Indeterminate Chymistry, jusqu’au 30 avril à In Extenso (Clermont-Ferrand), est un portail (de style archéo-futuriste) ouvrant sur les profondeurs palpables de l’image cinématographique.
Depuis qu’elle s’est convertie à la technique du found footage (utilisée par le lettriste Isidore Isou pour son scandaleux Traité de bave et d’éternité (1951)), Laura Gozlan passe des nuits sur YouTube à la recherche de perles de gialli italiens, chefs- d’œuvre de série B, et de films scientifiques (et c’est ainsi qu’elle poursuit la tradition du cinéma expérimental). L’intérêt conjugué de Laura Gozlan pour l’imagerie documentaire datée de la guerre froide, celles de l’époque New Age ou pour les alchimistes du XVIIe siècle comme Robert Boyle, auquel l’installation The Sceptical Chymist (2013) hante un autel crypto-masochiste, n’est pas l’expression d’un goût pour la part ésotérique du kitsch. Ces différentes époques, dont l’assemblage de matériaux et le montage vidéo opèrent chez elle le syncrétisme, ont en commun la division des croyances et la concomitance des pratiques aspirant au progrès scientifique et à l’occultisme, soit deux pôles complémentaires de l’imaginaire ici en fusion. Ainsi s’est-elle penchée sur les expériences communautaires inspirées des sociétés archaïques contemporaines, de la conquête de l’espace et de l’exploration des zones inconnues du cerveau (comme le programme secret de la CIA MK-Ultra visant la manipulation de sujets par injection de substances psychotropes). Le pacte entre le réel et la science-fiction est officialisé par les documents factices de la rencontre entre deux figures tutélaires de l’univers de l’artiste (Translation par les modèles, 2012) : Philip K. Dick et le physicien Stephen Hawking. Prêt à l’emploi pour une fiction dystopique, ce dernier est le personnage central du film Farewell Settler (2013) mixant des plans de cinéma avec des images authentiques du savant paralysé adressant à l’humanité, par l’intermédiaire d’un synthétiseur vocal, l’injonction de quitter la Terre ou d’assister à son extinction.
Ici, l’incision de l’image et sa projection diffractée ne sont pas l’allégorie d’un geste critique envers les utopies qu’elles véhiculent (le postmodernisme est loin derrière). Mais, dans son époque - assistant à l’hyperconsommation d’images vintages numérisées et à une réminiscence des fantasmes animistes -, Laura Gozlan met à l’épreuve le pouvoir des images archaïques dont, férue de théorie du cinéma, elle connaît parfaitement la grammaire. Elles sont le matériau plastique de films sans narration, fictions abstraites, séquences d’ambiances étranges, déjà vécues, mais capables d’un vertige renouvelé.
Comme le suggère le titre de l’installation Remote viewing (2014), les dispositifs de projection de Laura Gozlan semblent créer les conditions pour cette altération de l’état de conscience recherchée via les drogues ou subie sous le joug d’une manipulation neuronale - vecteur d’émancipation ou moyen de contrôle, comme si la rêverie et la paranoïa ne faisaient qu’un -, ou encore cet état hypnotique dans lequel advient l’épiphanie selon les mots du Buñuel à propos du cinématographe. L’entaille dans le film va puiser dans le documentaire et la fiction confondus ces affects contradictoires qui seraient symptomatiques de l’humanité avançant vers son avenir, une promesse doublée d’angoisse comme celle qui retient les astrophysiciens devant leurs écrans dans A Thousand Miles Bellow (2014), tandis que les actrices italiennes font jaillir un érotisme mystérieux. Et cette entaille pénètre la matérialité de l’image projetée, diffractée, reflétée et matérialisée dans l’installation Through the Silver Globe (2015) à In Extenso, offrant une expérience haptique du digital.

︎Remote Viewing