At
Its
Peak






Solo show, 2023
Curated by Akim Pasquet at Les Limbes, Saint-Etienne (Fr)
Text by Clara Guislain

Featured works : 
Some like it hot I, II, III sculptures 2022
Juveniles sculpture 2019


Some like it hot III sculpture 2022
Jesmonite, bent aluminum tubes, epoxy, wood, spray paint, cigarillo, elastomer, dye, torn umbrella. 180 x 75 x 60 cm


Some like it hot II sculpture 2022
Jesmonite, bent aluminum tubes, epoxy, wood, spray paint, lipstick, elastomer, dye.
180 x 75 x 60 cm




Some like it hot I sculpture 2022
Jesmonite, bent aluminum tubes, epoxy, wood, spray paint, cigar.
140 x 60 x 35 cm

Par leur silhouette ergonomique mimant le design industriel streamline, ces objets appellent des
potentialités d'appareillages corporels et de manipulation. S'ils épousent certaines formes des objets fonctionnels et jouent de rapprochements entre le technologique et l'organique, leur fonction et leurs
usages demeurent énigmatiques.
Dans certaines de ces sculptures, l'image du corps ne cesse de se construire et déconstruire dans la
tension entre creux et plein, des reliefs concaves jouent d'évocation à des surfaces d'accueil du corps, comme ces selles de moto moulées ou ces fragments de mobiliers que l'on reconnait, tandis qu'à d'autres moments les objets peuvent être identifiés à des parures, des sortes d'armures ou de combinaisons adoptant l'aspect d'étranges créatures amphibiennes mutantes. Leur texture en résine noircie par endroit, comme brûlée, et les reflets irisés de leur patine travaillée avec un maniérisme proche des effets spéciaux, dégage les effluves d'une matérialité toxique en même temps qu'un souci contrôlé de l'artifice.
Laura Gozlan poursuit à travers cette série de sculpture son travail autour du corps-prothèse, tout en
replaçant ces enjeux dans un champ où ce qui restait de la chair a disparu, se concentrant sur des aspects plus proches de l'ossature, de la carcasse. Les pieds tubulaires au mouvement ondulé qui soutiennent les formes moulées au-dessus du sol, comme des sortes d'échasses ou de béquilles, jouent d'une tension entre la stabilisation et la précarité ; comme si ces corps-objets, rescapés d'une catastrophe, avaient pris en main leur propre mouvement. Placées dans un équilibre incertain (elles ne semblent avoir ni haut, ni bas, ni gauche ni droite), toutes les sculptures forment des silhouettes spectrales et en même temps incarnées. A l'image des excroissances tubulaires qui s'échappent de certaines d'entre elles comme des sortes de branches coupées ou des cordons ombilicaux, ou encore de ces protubérances gélatineuses en formes de corolles ou de nageoire, leur mouvement oscille entre l'inertie de l'inorganique et un érotisme mutant.
Contrairement à l'alien, progéniture sans contours fixes de la mère archaïque, qui change de forme à
mesure qu'il acquiert de la maturité, les « larves » de Laura Gozlan se complaisent dans un état d'immaturité, réfutant l'accession à un stade d'évolution qui inscrirait leur cohérence dans un règne
de la différence, des genres ou des espèces : les formes semblent grandir par greffes d'altérités, par
agglomération de corps étrangers, reproduisant et dupliquant leurs propres difformités. Ici l'impossible reconnaissance de l'identité de ces corps sans contours, réengage les motifs de l'abjection omniprésents dans le travail de l'artiste. Toutefois, il s'agit plutôt ici de décrire une métamorphose, une fuite du corps hors de lui à travers l'objet, un mouvement décentré qui vient contester l'accaparement de la libido à des fins productivistes et reproductives, retournant le prédateur en potentiel allié. L'objet, flottant à la frontière entre monde interne et monde externe est devenu le refuge d'affects et de pulsions proliférantes.
Comme l'a défini l'anthropologie, dans l'étude notamment des rites de passages, la liminalité renvoie à un état de traversé d'un chaos temporaire où, avant de faire émerger une nouvelle identité différenciée, les coordonnées d'une identité initiale s'effondrent et se désarticulent. Au sein de cette zone de « limen », que Victor Turner associe également à une « anti-structure », le sujet expérimente la fluidité avec une altérité. Cependant, ce vers quoi cette liminalité tend reste ici plus qu'incertain. En procédant par moulage, mais en jouant en quelque sorte contre sa fonction reproductrice, (amalgamant en une entité plusieurs partie d'objets), Laura Gozlan met en déroute ce
travail de différenciation. Son travail parle de corps pollués, et irréparables, rescapés de fantasmes
et demandant à exister sur le plan de la matérialité. Ces corps sont des parties ou pièces détachées de quoi nous sommes fait, et qui restent « étrangers » ; en moi sans être « à moi » , qu'on ne peut de ce fait soumettre à l'image d'un corps « propre » : corps « tout court » explique l'artiste, au lieu de corps qui appartient « à » (« No body of my own » est le titre de l'une des pièces présentées).
Dans un article consacré à Robert Gober (« An art of the missing part »), qui, lui aussi, a fusionné le corps et l'objet fonctionnel en créant des scénarios où le soin et la pulsion se confondent, Hal Foster situait Gober dans une généalogie de la sculpture qui embrasse « le manque et le maudit », « qui résiste à la complétude, à l'assimilation dialectique et au même  1 ». Il s'agit aussi pour lui de travaux qui s'attaquent à la virilité érectile de la sculpture, à sa dimension stable, monumentale, et auto- suffisante. Chez Laura Gozlan, qui a toujours construit des environnement sculpturaux marqués par
une horizontalité diffractée, où le tactile vient déjouer le rapport purement optique/pénétrant, l'auto-suffisance et la question de l'autonomie restent encore un horizon possible d'émancipation et d'invention plastique. Cependant, cette auto-suffisance a quelque chose d'un peu plus monstrueux. Sorte de contre-forme des fantasmes contemporains d'auto-conservation et des quêtes posthumanistes d'immortalité, recadrés, à l'instar des films mettant en scène son alter-ego Mum, dans les limites d'un combat intime, ces sculptures semblent proposer une version un peu plus vulnérable et dissidente des technologies contemporaines du corps, une métamorphose sans
réparation, sans compensation, proche de celle que Catherine Malabou nomme « la métamorphose
par destruction ».

1 Foster, Hal. ‘An Art of Missing Parts’. October, no. 92 (2000)


Clara Guislain

Press
yyyymmdd 2023


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